Poema IV de «Tordo» traducido al francés

Bosque – Foto de Nicolás Morrison

IV

Les flics ont volé la voiture de mon grand-père

ils la lui ont rendue six mois plus tard

mais rien ne lui est arrivé

Ma mère a participé à une manifestation quelques jours plus tard

un de ses oncles l’a sauvé de la foule

mais rien ne lui est arrivé

Mon père était pilote maritime

il a su que l’on avait jeté des corps à la mer

mais rien ne lui est arrivé

Un ami a déterré des livres chez lui

presque vingt ans prisonniers dans l’humidité

mais rien ne leur est arrivé

On a eu de la chance petite Jeanne

et j’ai pensé au différent

une bruine comme celle de cette nuit-là au bar

pendant que les forces spéciales fermaient le lycée

on s’est assis sur la place avec les garçons

ils avaient faim froid ils n’avaient nulle part où aller

on a joué à mimer des films

on a discuté en mangeant des biscuits

peu à peu ils se sont approchés de moi

une baleine avec des crustacés sur le dos

rimait des sons dans cette densité-là

comment et où dorment-elles me suis-je demandé

pourquoi échouent-elles sur des plages désertes

et les filles qui disparaissaient pour se prostituer

et l’autre qui a été violée par son père

la jeune femme frappée par sa mère

celui qui habitait dans un parc près de chez moi

ou le punk qui est né pour vivre à l’hôpital

ceux qui n’ont jamais eu d’enfance obligés à travailler

ma meilleure élève s’est suicidée

elle écrivait des poèmes des pièces de théâtre énormes

elle finissait toujours la première

je n’ai jamais pu rentrer dans son monde

l’excuse des quarante-quatre heures n’est pas suffisante

j’ai pleuré tout cet après-midi-là Jeanne en pensant que ç’aurait pu être moi

et si je veux me souvenir de son nom je ne peux pas

et si je veux être un autre je ne peux pas

et si j’ai voulu être un homme exemplaire

je ne me souviens que de ce matin-là à Peñalolén

les vachers luisants picoraient des grains

des nuages de gaz lacrymogène

sillonnaient la ville

IV
A mi abuelo los pacos le sacaron un auto
se lo devolvieron a los seis meses
pero a él no le pasó nada
Mi mamá fue a una protesta a los días
un tío la rescató de entre la multitud
pero a ella no le pasó nada
Mi papá era tercer piloto mercante
supo que habían arrojado cuerpos al mar
pero a él no le pasó nada
Un amigo desenterró libros de su casa
casi veinte años atrapados en la humedad
pero a ellos no les pasó nada
Fuimos afortunados pequeña Jeanne
y pensé en lo distinto
una llovizna como la de esa noche en el bar
las fuerzas especiales cerrando el liceo
con los chicos nos sentamos en la plaza
tenían hambre frío no tenían donde ir
jugamos a hacer mímica adivinando películas
de a poco se me fueron acercando
una ballena con crustáceos en la espalda
rimando sonidos en esa densidad
cómo y dónde duermen me pregunté
por qué varan en playas desiertas
y las niñas que desaparecían para prostituirse
y la otra que fue violada por el papá
la chica golpeada por la madre
el que vivía en un parque cerca de mi casa
o el punk que nació para vivir en un hospital
los que nunca tuvieron infancia obligados a trabajar
mi mejor alumna se suicidó
escribía poemas obras de teatro enormes
terminaba antes que todos
nunca entré en su mundo
la excusa de las cuarenta y cuatro horas no es suficiente
esa tarde Jeanne la lloré entera pensando que pude ser yo
y si me quiero acordar de su nombre no puedo
y si quiero ser otro no puedo
y si quise ser un hombre ejemplar
recuerdo solo esa mañana en Peñalolén
los tordos picoteando semillas
nubes de gas lacrimógeno
surcando la ciudad.

 

Extrait de Tordo [Vacher luisant].

Santiago du Chili: Cuneta, 2014.

Traducido por José Pozo López en el evento La Communauté brisée (La comunidad trizada), una muestra de poesía chilena contemporánea curada por Rodolfo Reyes Macaya en La Maison de la Poésie d’Avignon, en enero de 2018.

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